Le jeu français Clair Obscure – Expédition 33, développé par le studio indépendant Sandfall Interactive, a récemment captivé le public avec son esthétique baroque, son gameplay narratif et son univers original. Mais au-delà de son succès artistique, c’est aussi un exemple éclairant de stratégie en propriété intellectuelle. L’industrie du jeu vidéo est aujourd’hui l’un des secteurs culturels les plus dynamiques et innovants au monde. Chaque production combine des éléments artistiques, techniques et narratifs, formant une œuvre complexe, collaborative et hautement créative. Mais derrière la magie du gameplay se cache une réalité juridique incontournable : celle de la propriété intellectuelle.
1. Le jeu vidéo : une œuvre protégée par le droit d’auteur
En droit, un jeu vidéo est reconnu comme une œuvre multimédia : il combine plusieurs types de créations, chacune relevant du droit d’auteur.
Voici les principales composantes protégées par le droit d’auteur:
- Le code source et le moteur du jeu : assimilés à des logiciels.
- Les visuels, dessins et graphismes : œuvres artistiques.
- La musique, les bruitages et les voix : œuvres musicales et interprétations.
- Le scénario, les dialogues, l’univers narratif : œuvres littéraires.
- Le design des personnages ou environnements : également protégeables selon leur originalité.
La protection par le droit d’auteur s’applique automatiquement dès la création de l’œuvre, sans formalité de dépôt (en Europe), à condition qu’elle respecte certaines conditions (Droit d’auteur)
2. Les marques : protéger l’identité commerciale du jeu
Le droit des marques complète le droit d’auteur en protégeant l’identité du jeu. Dans un marché saturé, le nom, le logo ou même les noms de personnages deviennent des signes distinctifs majeurs.
Voici ce que les studios peuvent (et devraient) enregistrer en tant que marque :
- Le titre du jeu : pour éviter toute confusion avec un concurrent.
- Le logo et l’habillage visuel : pour garantir une reconnaissance immédiate.
- Les noms emblématiques (personnages, objets) : surtout s’ils ont un potentiel de merchandising ou d’adaptation transmédia.
La marque offre une protection renouvelable (tous les 10 ans) et confère un monopole d’exploitation dans les classes de produits/services visées (jeux vidéo, produits dérivés, événements e-sport, etc.).
3. Qui détient les droits ? Le rôle des contrats de travail
Dans une production vidéoludique, de nombreux intervenants collaborent : développeurs, graphistes, compositeurs, scénaristes, etc. La question de la titularité des droits est donc essentielle.
En pratique :
- Salariés : en Suisse, les créations des salariés ne sont pas automatiquement transférées à l’employeur, sauf pour les logiciels (Art 17LDA (https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1993/1798_1798_1798/fr)). Pour le reste (graphismes, musiques, narration), il faut prévoir une clause de cession de droits dans le contrat de travail.
- Freelances et prestataires : une cession contractuelle écrite est indispensable, précisant l’étendue, la durée et le territoire d’exploitation.
- Studios indépendants : conservent leurs droits sauf s’ils signent un contrat d’édition ou de distribution avec cession.
Sans clauses précises, des litiges peuvent surgir sur la titularité des droits ou la rémunération des auteurs, surtout en cas de succès commercial.
4. Licences et exploitation : encadrer l’usage des créations
Le recours aux licences est central dans l’univers vidéoludique. Elles permettent de :
- Commercialiser un jeu via un éditeur.
- Utiliser un moteur de jeu propriétaire.
- Collaborer avec d’autres studios ou artistes.
Deux grandes catégories de licences :
- Licences exclusives vs non exclusives : selon si l’auteur accorde un droit unique ou partagé.
- Licences open source : parfois utilisées pour les moteurs ou assets, elles offrent plus de liberté, mais imposent aussi des contraintes (obligation de redistribution, citation des auteurs, etc.).
Certaines plateformes imposent leurs propres règles de distribution (Steam, Epic Games Store), ce qui peut affecter les droits d’usage et de monétisation.
Conclusion : protéger un jeu, c’est protéger un univers
Le succès d’un jeu ne repose pas uniquement sur ses qualités techniques ou artistiques. Il dépend aussi de sa capacité à construire une identité forte, à la défendre et à l’exploiter dans la durée. La propriété intellectuelle offre les outils pour cela : droit d’auteur, marques, licences, et bonne gestion contractuelle.
Clair Obscure l’a bien compris : en combinant une direction artistique ambitieuse avec une protection juridique solide, le studio montre la voie à suivre pour toute la filière vidéoludique, qu’elle soit indépendante ou industrielle. Car dans ce secteur comme dans les autres, le droit n’est pas un frein à la création, il en est un allié.
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