Introduction
La parodie est un outil fondamental de la liberté artistique et de la critique sociale. Qu’il s’agisse de dessins humoristiques, de remix musicaux ou de vidéos satiriques, les créateurs suisses s’interrogent souvent : ai-je le droit de parodier une œuvre protégée sans l’autorisation de son auteur ?
Depuis la révision de la Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins (LDA), la réponse est oui, à certaines conditions. L’article 11 alinéa 3 LDA (https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1993/1798_1798_1798/fr) prévoit désormais une exception explicite pour les parodies.
1. Un fondement légal clair : l’article 11 alinéa 3 LDA
L’article 11 LDA, qui définit les droits exclusifs de l’auteur, comprend depuis la révision une disposition spécifique :
Art. 11, al. 3 LDA :
« L’utilisation d’œuvres existantes pour la création de parodies ou d’imitations analogues est licite. »
Cette disposition introduit une véritable exception au monopole de l’auteur. Contrairement à d’autres usages qui nécessitent une licence, la parodie est donc autorisée de plein droit, sans besoin de demander l’accord du titulaire.
2. Une liberté encadrée : les conditions de validité
L’exception de parodie n’est pas illimitée. La jurisprudence et la doctrine suisse ont dégagé plusieurs critères pour qu’une parodie soit jugée licite :
🔹 a. Un effet humoristique, critique ou satirique
La parodie doit avoir pour finalité une distanciation de l’œuvre originale, par le biais de l’humour, de la satire, ou de la critique sociale ou politique.
📌 Une imitation purement commerciale, sans intention comique ou critique, ne sera pas protégée.
🔹 b. Une œuvre reconnaissable, mais suffisamment transformée
Il faut que l’œuvre source soit identifiable par le public — c’est ce qui crée l’effet parodique —, mais la parodie ne doit pas créer de confusion. Elle doit constituer une œuvre autonome, avec une touche personnelle.
📌 Une simple copie avec quelques modifications superficielles ne suffit pas.
🔹 c. L’absence d’atteinte excessive au droit moral
Même si la parodie est permise, le droit à l’intégrité de l’œuvre (art. 9 LDA) reste protégé. Une parodie qui dénature profondément l’œuvre originale de manière dégradante ou haineuse pourrait être sanctionnée.
🔹 d. Pas d’impact sur l’exploitation normale de l’œuvre
La parodie ne doit pas porter préjudice au marché de l’œuvre originale. Si elle remplace l’original ou nuit à sa diffusion, elle pourrait être interdite.
3. Jurisprudence suisse : vers une application concrète
Bien que peu nombreuses, les décisions judiciaires suisses donnent des indices précieux :
- Une décision zurichoise (GG210077-L/U, 2021) a reconnu la licéité d’une vidéo humoristique inspirée d’un film, en soulignant que l’intention comique était manifeste et qu’aucune confusion n’était possible.
📚 La tendance est claire : la parodie est admise, à condition d’être créative, identifiable et critique.
4. Une exception à mettre en perspective : le droit comparé
🇫🇷 France
La parodie est autorisée par l’article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Elle doit respecter le but humoristique, éviter la confusion, et ne pas porter atteinte au droit moral.
🇩🇪 Allemagne
La jurisprudence (notamment BGH, 2016) protège la parodie au nom de la liberté d’expression artistique. Elle admet une marge plus large, même pour les détournements plus agressifs.
🇪🇺 Union européenne
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a défini la parodie dans l’arrêt Deckmyn (C-201/13, 2014) :
- Elle doit évoquer une œuvre existante tout en s’en distinguant ;
- Elle doit constituer une manifestation d’humour ou de moquerie.
✅ La Suisse s’aligne donc globalement sur ces standards internationaux, tout en conservant une approche pragmatique et nuancée.
5. Conseils pratiques pour les créateurs
🎨 Tu souhaites réaliser une parodie en Suisse ? Voici quelques bonnes pratiques :
- Choisis une œuvre connue, pour que l’effet parodique soit perceptible ;
- Transforme-la suffisamment : ajoute un message, un ton personnel, une critique ;
- Sois clair dans ton intention : satire, humour, dénonciation ;
- Évite la confusion : indique que c’est une parodie si nécessaire ;
- Respecte la dignité de l’œuvre et de l’auteur : pas d’injure gratuite.
Conclusion
L’article 11 alinéa 3 LDA marque une avancée majeure dans le droit d’auteur suisse. Il affirme que l’humour, la satire et la critique font partie de la liberté artistique, même lorsqu’elles s’appuient sur des œuvres protégées.
Cependant, cette liberté reste encadrée : la parodie ne doit pas dégénérer en plagiat ni nuire injustement à l’auteur original.
🎭 Dans une société où la satire joue un rôle essentiel, cette exception constitue un équilibre précieux entre protection de la création et liberté d’expression.
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